« Le dimanche était jour de messe. Alors, depuis le rez-de-chaussée, tôt le matin, Grand-mère nous appelait : « les filles, les petites fille, debout, il est l’heure ! » C’était dur de sortir d’une bonne couette de plume d’oie. Mais après un petit déjeuner vite avalé, une toilette vite faite et les habits du dimanche vite enfilés, nous étions prêtes pour l’office de 09h00. La messe était dite en latin à l’époque, et pour moi, c’était le grand mystère de la foi. J’aimais cette ambiance mystique et attendais avec impatience d’avoir l’âge de pouvoir communier. Je me sentais souvent frustrée de voir les autres recevoir l’Ostie de la main du curé et ne pas pouvoir y goûter moi-même. Mais une fois la messe terminée et cette petite frustration évanouie, nous quittions rapidement nos robes du dimanche afin de pouvoir nous amuser sans problème et les garder propres pour le dimanche suivant. Car porter ces habits trop élégants pour la campagne pouvait comporter quelque danger. Ma sœur Arlette en rit encore aujourd’hui lorsqu’elle repense à ce dimanche matin où en attendant à l’entrée de l’étable que notre tante Nini ait fini de traire le lait, une vache qui devait trouver appétissante sa jolie robe fleurie lui arracha tout le devant avec sa langue râpeuse. « Ma robe, ma robe » s’entend-elle encore crier de dépit !
Avec cet emploi du temps bien chargé, nous ne trouvions pas beaucoup de temps pour appeler nos parents. Grand-mère avait pourtant, chose très rare à l’époque, le téléphone à la maison. Il était posé sur une table dans cette pièce au rez-de-chaussée que l’on appelait le bureau. Mais cela prenait du temps, il fallait passer par une opératrice qui nous rappelait dès que nous avions notre interlocuteur, et puis, nous n’en ressentions pas vraiment le besoin. Nous n’écrivions pas non plus d’ailleurs mais papa et maman venaient au moins une fois nous voir durant les vacances. Ils passaient la journée et je dois dire que c’était bien suffisant. Maman contrôlait les devoirs de vacances et le tricot et si elle avait le malheur de voir une maille de travers, elle défaisait tout jusqu’à l’erreur qui se trouvait parfois plusieurs rangs plus bas. Nous l’aurions tuée ! Elle regardait aussi comment était rangée la chambre qui je dois l’avouer n’était pas toujours au carré. Autant dire que ces visites n’étaient pas des parties de plaisir et nous avions hâte qu’elle reparte le soir. Le car devait quitter Gastins vers 18h et nous demandions constamment à Grand-mère l’heure qu’il était.
Le soir, nous jouions ensemble aux petits chevaux, aux cartes, souvent Grand-mère nous racontait sa vie de petite fille (son père Octave Trouillet était l’instituteur de Balloy, c’est-à-dire, une personnalité importante et cultivée), et parfois, quand nous montions dans nos chambres et que nous avions du mal à nous endormir, elle nous faisait jouer à deviner les noms des métiers ou les prénoms. Par exemple, elle nous demandait : « quel prénom commence par la lettre P et finit par la lettre E ? » Nous répondions Pierrette, Paulette, etc. Et après avoir épuisé tous les prénoms que nous connaissions, nous donnions notre langue au chat. « Pélagie !» répondait Grand-mère triomphante. « Mais ce sont des prénoms de vieux, on ne les connait pas » répondions-nous dépitées (forcément, elle était née en 1886, au siècle d’avant !) et nous partions dans des fous rires difficiles à arrêter. Les gens qui passaient dans la rue et nous entendaient rire disaient à Grand-mère : « Ah ! On les entend rire vos petites filles, il y a de la joie chez vous. » Avec tous ces bons moments partagés, comment veux-tu qu’une fois devenue mamie, à mon tour, je n’ai pas eu envie de vous donner autant que j’ai reçu. Ai-je réussi ?
Extrait de « Quelle belle vie ». Biographie de Bernadette, Le Plessis-Robinson-Hauts-de-Seine