Jean-Pierre

« Nous voilà donc arrivés par cette nuit de novembre dans cette ville inconnue, les bras chargés de notre vie d’avant et avec pour seule certitude le sentiment que tout allait changer. Heureusement, papa était un roc, et sur ce roc qui nous semblait inébranlable, nous mettions tous nos espoirs et notre confiance d’enfant.

Et l’adaptation a commencé. Personne à la maison ne parlait un mot de Français, à part Julien et Amalia qui en avaient appris quelques notions. Mes parents et moi étions complètement ignorants et jamais au grand jamais, nous n’aurions imaginé qu’un jour nous allions devoir apprendre une autre langue que la nôtre. Mais l’école c’était son ambition, allait nous passer par la moulinette de l’intégration et faire de nous, j’allais l’apprendre à mes dépens, à coups de règles et de fessées de vrais petits français.

Pour notre premier jour d’école, maman avait pris soin de nous revêtir de notre blouse noire au col blanc d’écolier que nous portions au village. Elle avait dû passer du temps à les lessiver puis à les repasser avec amour pour que nous soyons beaux et présentables. La pauvre, elle croyait bien faire, elle ne se doutait pas que dans l’école où nous avions été inscrits, les enfants ne portaient pas d’uniforme et au lieu de nous permettre de passer le plus discrètement possible, ce que nous souhaitions de toute nos forces, cet accoutrement produisit l’effet inverse et fit de nous la risée de toute la classe. « Eh regardez-les ces Macaronis, ces Spaghettis, ces Ritals » voilà les quolibets moqueurs dont nous avons été affublés à partir de ce jour-là. J’imagine avec le recul que nous avions l’air certainement comiques avec notre uniforme dépassé, la dégaine un peu gauche du petit nouveau qui ne comprend pas un mot de ce qu’on lui dit. Pour ces gosses qui au fond, n’étaient pas racistes nous étions juste ridicules et ils ne faisaient que répéter ce qu’ils entendaient de la bouche des adultes. Mais ils nous ont fait du mal, ils nous ont humiliés, je ne savais pas qu’être italien pouvait être honteux, pouvait provoquer les rires et les moqueries. Car oui, pour la première fois de ma vie, j’eu honte de mes origines et honte de ce que j’étais. Et ce sentiment allait durer très longtemps.

Heureusement, nous n’étions pas les seuls Italiens dans cette école, il y avait des élèves qui venaient du Frioul et du Sud, la plupart, des fils d’ouvriers qui comme papa étaient venus travailler dans les usines du coin. Au moins avec eux, on se sentait un peu plus chez nous, c’était un peu de l’Italie que l’on pouvait partager, le temps de la récréation.

Pour apprendre les premiers rudiments de Français, il fut décidé que j’allais intégrer la classe de CP. L’intention pouvait se comprendre mais ce fut très difficile pour moi de me retrouver au milieu d’enfants de six ans alors que j’en avais trois de plus. Ma timidité naturelle n’avait pas beaucoup de chance de se dissiper.

Après quelques mois d’apprentissage pourtant, je commençais à sortir du tunnel, mon niveau de Français devenait suffisamment bon pour que les professeurs décident de me faire sauter de classe et m’intégrer au niveau du CM1. J’allais enfin retrouver les enfants de mon âge. Mais ce parachutage en cours d’année allait devenir, je ne le savais pas encore, une véritable épreuve. C’est à ce moment-là que commencèrent les brimades et les châtiments corporels. Je quittais la gentillesse de Madame Male, ma première maîtresse pour venir goûter au métal violent de la règle de mon nouveau maître.

– « Monsieur Zanetti, vous n’avez encore rien compris ? Venez-ici immédiatement, je vais vous la faire rentrer dans la tête cette leçon, vous allez voir ! Ah ces Ritals, des bons à rien. Allez, penchez-vous en avant. » Et coincé entre ses jambes, je recevais la fessée de ma vie » ou bien : « Monsieur Zanetti, encore une fois, vous n’avez pas écouté, vous avez les oreilles farcies façon cannelloni ou quoi ?! Allez, montrez-moi vos doigts. » et de me frapper de toutes ses forces avec sa règle métallique, parfois jusqu’à me faire saigner. J’en avais le souffle coupé.

Extrait de la biographie de Jean-Pierre-Soisy-Sous-Montmorency-Val d’Oise.